Karen Hottois est autrice d’albums et de romans jeunesse et a travaillé avec différent.es illustrateur.ices, dont Marie Mirgaine, Delphine Renon ou Emilie Seron. Elle est principalement éditée au Seuil jeunesse et chez Albin Michel jeunesse. Grâce à la belle intuition de son éditrice, elle est ici associée à Vincent Pianina aux illustrations, dans un registre où on ne l’attendait pas, pour mon plus grand plaisir. J’ai déjà parlé ici de son travail que je suis depuis longtemps avec Le Secret très secret du maître du secret aux éditions Thierry Magnier et La Dormeuse, écrit par Camille Floue déjà chez Albin Michel jeunesse.
Dans Un Brouillamini, l’on suit quatre histoires croisées entre un ver de terre, une mite, une sauterelle et un escargot accompagnés de quelques personnages secondaires, qu’ils soient araignée ou lucane. Ces petites bêtes interagissent les unes avec les autres, directement ou plus souvent par lettres interposées, ce qui amène à de nombreux et savoureux quiproquos entre attente, amitié contrariée ou amour enflammé comme tant de saynètes entremêlées.
Le goût des jolis mots et des textes ciselés de l’autrice démarre dès le titre, Un Brouillamini, mot peu usité aux sonorités amusantes. Si un adulte le comprend, l’enfant-lecteur pourra le rencontrer peut-être pour la première fois ici. Mais il y a des mots comme cela dont on devine et espère la signification. Il s’avère fort à propos dans cet album où sont développés quatre univers minuscules de petites bêtes dans un imbroglio, ou plusieurs, les mêlant délicieusement.

L’histoire commence comme un classique album d’hiver que l’on lirait pelotonné sous une couverture en reprenant les codes du genre aussi attendus qu’agréables en cette saison. La neige tombe et recouvre toute la nature environnante alors que le premier personnage à entrer en scène, le ver de terre, se décide, dans son intérieur coquet et réchauffé par la théière en ébullition, à écrire une lettre, sur une feuille d’arbre, à la mite dont il aimerait bien partager la compagnie. S’ensuivent différentes saynètes savoureuses entre ces personnages délicieusement embrouillés. C’est là qu’intervient la subtilité de la déconstruction et reconstruction proposée par Vincent Pianina dans le choix du rapport texte-image. Le découpage mis en place par l’illustrateur propose un chemin pour chacun des quatre personnages sur chaque double page, chemin partant à chaque fois de l’intérieur douillet de chacun. Au début de l’album, tous n’entrent pas en scène en même temps, mais seulement le ver de terre à l’initiative de la première missive, les autres apparaissant progressivement. Voilà que les chemins avancent en parallèle mais que les personnages passent parfois de l’un à l’autre, laissant apparaître la naissance des quiproquos et états d’âme. Plusieurs lectures deviennent alors possibles dans cet album où l’on peut préférer une lecture classique dans l’ordre qui fera intervenir tous les univers en parallèle chronologiquement ou une lecture partielle où l’on se concentrera d’abord sur tel ou tel personnage et son chemin.
Les univers minuscules des différentes petites bêtes sont développés avec une grande minutie dans les illustrations comme autant de scènes de théâtre ou de maisons de poupées où l’on pourrait jouer à déplacer les choses ou modifier les décors. Il y a là du Marivaux chez les petites bêtes ! Cet aspect théâtralisé avec les différentes scènes en parallèle permet d’évoquer avec beaucoup de finesse les notions de vie sociale et des relations qui se construisent et évoluent. Ici, les petites bêtes ont de grands sentiments, comme les enfants qui apprennent à vivre avec eux et ceux des autres.

Les décors sont développés grâce aux illustrations fourmillantes de détails à la peinture retravaillée numériquement par Vincent Pianina dont on ne reconnaît pas immédiatement le trait tant il adapte son style à chaque projet de livre. Dans ce grand format tout en hauteur, les quatre chemins sont chacun assez fins, incitant les lecteur.ices à observer les infimes particularités parfois très amusantes des intérieurs de chaque petite bête. Quelques pleines pages illustrées de décors extérieurs parsèment le récit de beaux paysages de cette nature immense et impressionnante vue de tout petit animal dans un jeu d’échelle et de cadrage rappelant des plans cinématographiques.
Le texte est positionné au-dessus des bandes d’illustrations correspondantes dans ce découpage en quatre des pages. Cela renforce tant l’aspect théâtral que l’importance laissée aux blancs de la page et de la narration dans cet album aux illustrations pourtant foisonnantes. Selon quand commence ou finit la ligne narrative de chacun, certaines pages ne voient apparaître qu’un ou deux chemins restant positionnés à la même place que quand les quatre sont là. Le reste de la page est alors blanc, laissant le temps à l’observation et à la mise en place du rythme. Le blanc des pages permet également de laisser apparaître certains passages d’animaux d’un chemin à un autre. Au-delà de cela, des scènes muettes ont pu être ajoutées à la narration par l’illustrateur, montrant à merveille le passage du temps sans que cela ne soit explicité par le texte. C’est que l’épistolaire, qu’affectionne particulièrement Karen Hottois dans ses albums, donne un temps long à la réponse qui peut laisser monter les interrogations comme les imbroglios qui font de bons ressorts narratifs. L’on voit ainsi sur plusieurs doubles pages le ver de terre attendre une réponse devant sa boîte aux lettres, la mine de plus en plus déconfite, alors que les autres personnages sont fort affairés dans leurs coins respectifs.
Un Brouillamini, Karen Hottois & Vincent Pianina, éditions Albin Michel jeunesse, 18 euros, à partir de 5 ans.
Pour retrouver l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 66 min environ).
Pour plus d’informations sur Karen Hottois, sur Vincent Pianina et sur les éditions Albin Michel jeunesse.